Notre histoire

L’histoire (romancée) de Vino

Il était une fois Vino.

Vino m’a raconté un jour son plus vieux souvenir. La chemise blanche de son père. Il devait avoir cinq ou six ans et il nous parle encore de ce bel homme portant si bien la chemise. Elle lui allait bien, elle était belle et il voyait briller l’amour dans les yeux de sa mère. Encore aujourd’hui ça lui rappelle les beaux dimanches dans son Italie natale. Nous, ici, on pense que c’est comme ça que ça a commencé.

Lorsque Vino eut quinze ans, il partit de son pays pour rejoindre le nôtre, et sa capitale de la mode. Il passa quelques temps à travailler chez les « meilleurs » marchands de chemises de l’époque, à ce qu’on raconte, les fabricants du Sentier (que de souvenirs selon lui). Mais au bout de plusieurs années de labeur à vendre autant de frigos que de tissus (si, si, véridique), il décida de sortir du circuit.

Personne ne sait vraiment ce qu’il s’est passé durant ces années. On murmure qu’il serait parti en Asie, voir les tisseurs impériaux clandestins, qu’il a traversé le Sahara, rencontré les marabouts nomades, qu’il a tissé des liens en Russie, en Turquie, au Maroc, qu’il a traversé l’océan pour le Nouveau Monde et ses merveilles cotonneuses.

Lorsqu’il revint, c’était un homme nouveau. Il avait ramené un savoir-faire ancestral avec lui. Il était temps de se lancer dans un projet plus ambitieux…

Ainsi est née La Fabrique de Vino.

Vino nous a tous trouvés dans des recoins différents. Il est venu me dégoter le premier. J’étais alors en marge du système depuis déjà quelques mois, poursuivi par les Polices de ma machine à écrire. Je me cachais au fin fond d’un verre de rouge, en plein milieu de Rome, ville éternelle pour les intimes. Il est venu vers moi dès que son pied toucha le plancher collant du bar. Il s’est installé sur le tabouret branlant d’à côté et à peine avais-je ouvert la bouche pour lui demander poliment d’aller jouer avec ses stylos billes (bien moins nobles que la plume), il me coupa la parole et déblatéra un tas de choses textilosophiques, bien trop difficiles à comprendre alors que j’étais en train de dessaouler. Il m’expliqua tout d’abord pourquoi il avait un grand besoin de quelqu’un comme moi pour surfiler son travail. Un rêveur au cœur recousu, capable d’un trait de crayon de faire partager les songeries et autres fantasmes. Et puis sans plus attendre il m’a rangé dans sa valise, et emporté dans son voyage pour sa nouvelle étape.

Première question qui me vint à la plume, de qui avions-nous besoin ? Selon lui, pour ce coup, qui sera probablement le coup du siècle… Il nous fallait :

  • Un pro du produit (Vino)
  • Un rêveur (M. Qiu)
  • Un mec pas commode (pour gérer les bavures des partenaires que nous allions forcément engager)
  • Un pro du tissu (pour gérer les qualités…)
  • Des muscles (pour aider le mec pas commode et porter les rouleaux de tissus qu’on ne manquera pas d’avoir)
  • Un pro de la gestion (c’est le point fort de personne…)
  • Un mec qui sait coudre…

Pour cela Vino avait encore quelques tours dans ses emmanchures.

« Le vol AF004536 vient d’arriver à l’aéroport de Santorin. » Surprise pour mes lunettes et moi-même, nous voilà en Grèce. Vino n’avait évidemment pas choisi cette destination par hasard. Comme mentionné plus haut, il fallait quelqu’un pour gérer les bavures. Donc quelqu’un de pas commode (rien à voir avec le meuble). Pour ça, il réajusta son col français et sa cravate et nous emmena, lui, mes plumes et moi sur l’île plus qu’infréquentée d’Anti-Paros. Là-bas, il alla directement dans l’endroit le plus reculé, loin de la mer et du bac qui menait à Paros et ses habitants. Derrière un bar, lui-même caché derrière un vendeur d’herbes qui ne venaient pas que de Provence, lui-même caché derrière un stand de pita, excellente soit-dit en passant, nous trouvâmes un ring clandestin. Une danseuse de salsa spécialiste du yoga, dévoreuse de chocolat (100% cacao) à ses heures perdues, se trouvait à gauche du ring. Le champion en titre de boxe grecque des poids moyens à droite. Empastroplapolitesse et Nicas Aliagis, de leurs noms respectifs. Le combat ne dura pas plus de quelques minutes. Empatroplapolitesse avait gagné d’un coup de pied retourné façon yogi. Elle allait donner du fil à retordre à nos ennuis. Vino alla la voir immédiatement et, usant de toutes ses astuces, il réussit à embarquer cette guerrière des temps modernes et à la lier à nos pas…

Lorsque nous atterrîmes en plein cagnard au beau milieu de l’Afrique, je dois avouer que j’ai commencé à me faire un sang d’encre. Dans un lieu comme celui-ci, nous étions comme qui dirait sur le fil du rasoir. Bien sûr, notre guerrière, que nous avions décidé d’appeler Em, ne souffrait pas un brin de cette chaleur torride, et pas une goutte de sueur ne coulait sur ses tatouages aussi nombreux et imposants que l’imprimé d’une chemise hawaïenne. Nous marchâmes des heures sous un soleil de plomb, très loin du poids de ma mine de crayon, pour nous trouver face à une grotte. Dedans se trouvait un ermite chauve et barbu. Vino avait entendu brailler quelques muets sur cet homme qui, lui, connaissait les tissus comme sa poche. Même si, du coup, à cause de son errance solitaire, il connaissait surtout le tissu de sa poche. Sans attendre, Vino entra dans la grotte noire comme de l’encre et revint quelques temps plus tard avec notre homme. De fil en aiguille, nous reprîmes l’avion vers de nouvelles contrées.

La prochaine étape fut Lisbonne. Une ambiance loin d’être feutrée, pleine de bruit et de fureur colorés, nous trouvâmes les bras dont nous avions besoin. C’est dans un restaurant d’acras de morue, spécialisé dans le Fado aux murs couverts d’Azulejos, que Vino rencontra A. et D. Avec eux, notre alphabet s’étoffait. Un père et son fils, l’un petit, l’autre grand, les deux forts et fiers… De quoi rendre notre quotidien moins lourd… Quoique… Jamais d’accord, aussi compatibles qu’un velours et un Oxford sur un modèle de chemise à carreaux à col italien ! D’ailleurs, ça pourrait peut-être rendre quelque chose. Après tout, comme dirait un des amis de Vino, « Les modes passent, le style d’écriture reste. » Euh, c’était peut-être pas tout à fait ça…

L’arrêt suivant fut une Bonne Nouvelle (seuls les habitués du métro parisien comprendront et je m’en excuse d’avance)… Vino avait trouvé une gérante en Angleterre, non loin de Londres. Théinomane, elle allait resserrer nos coutures pour que cela tienne la route. Une méthode en popeline 100% coton, un caractère trempé dans le même métal que la machine à coudre choisie pour notre projet, elle était coincée chez une vieille femme aigrie. Avec vivacité, Vino jeta sur la vieille femme un voile de mystère, lui aussi en 100% coton évidemment, détournant ainsi son attention vigilante qui maintenait prisonnière notre gérante, puis alla la voir avec une discrétion sans pareille. Il l’avait convaincue avant qu’on ait eu le temps de dire Liberty ! Rejoignant notre équipe presque complète de fous de la bobine, S, de son nom, embarqua sur le premier vol nous liant à notre dernière étape, la Turquie.

Notre dernière destination fut Istanbul et son Bosphore. Ses ateliers et ses bars à narguilés. Vino, sans attendre que se déroule tout seul le fil de notre histoire, s’en alla à travers les rues aussi larges que des passepoils. Nous nous enfonçâmes avec lui non sans une certaine appréhension, de peur que cette escapade tourne à l’aigre… C’est donc en faisant grise mine que nous allâmes derrière un théâtre casé entre deux vendeurs de kebab. Là, derrière les coulisses, nous aperçûmes le plus petit homme que nous n’eussions jamais vu. Armé de ses lunettes et de ses doigts de fée, il fabriquait les costumes pour une adaptation de Shakespeare intitulée « On ne fait pas d’Hamlet sans casser des œufs ». Non sans un haussement de sourcil pour cet humour aussi lourd qu’un rouleau de tissu de mille mètres, Vino alla convaincre notre fée stambouliote. L’affaire fut brodée en quelques minutes, le temps de ranger ses affaires et nous revînmes à Paris en quelques coups d’aiguille.

Il ne nous resta plus que le lieu. Fort heureusement pour Vino, malheureusement pour les fabricants du Sentoche, comme diraient certains, beaucoup de marchands avaient fermé. Sans attendre, nous allâmes dans le premier immeuble que nous croisâmes. Dans un vieux bâtiment tout de pierre vêtu se trouvait un local situé à un étage par l’ascenseur, au suivant par l’escalier, puisque tout est un peu magique chez Vino, où nous installâmes nos bureaux. Là où le véritable travail est fait. Là où la collection de Vino voit le jour et permet enfin aux gens de porter des chemises aussi belles que celles que portait son père, il y a si longtemps.

Vino pense à son père encore aujourd’hui. Celui qui disait en riant lorsque son fils lui parlait de ce projet fou : « In Vino Veritas ».

M. Qiu